"L'église doit être comme un aéroport !"
Leo Rhee dirige l'église internationale CityLight à Séoul. Nous l'avons interviewé sur sa vision de l'église aujourd'hui, en Corée. Voilà la retranscription en français.
Leo, peux-tu nous parler un peu de toi, avant d’aller plus loin ?
Bien sûr ! Je suis le pasteur principal de l'église City Light Soul à Séoul, dans le quartier de Hongdae. Je suis né ici en Corée, mais j'ai grandi aux États-Unis. J'ai vécu à Chicago, Philadelphie, Los Angeles et dans la région de Washington DC la plupart de ma vie. Puis en 1999, je suis venu visiter la Corée et j'ai fini par y rester. Ça fait environ 25 ans que je vis ici, dans l'une des plus belles villes du monde (rires).
Tu peux nous en dire plus sur la foi, les églises et les jeunes en Corée aujourd'hui, pour les locaux et les étrangers qui viennent ici ?
Grande question ! Pour faire simple, l'église coréenne est en déclin depuis environ 25 ans. C'est triste parce qu'on a vu tellement de bénédictions et la gloire de Dieu sur l'église coréenne, avec plein de missionnaires envoyés partout dans le monde et tant de gens qui ont connu le Christ. Mais pour je ne sais quelle raison, depuis une génération, beaucoup de jeunes ont quitté l'église. Il y a 25 ans, quand je suis arrivé en Corée, environ 25 % des étudiants se disaient Chrétiens. Maintenant, les stats montrent que c'est probablement moins de 5% sur les campus. Beaucoup de mega-churches ferment leurs ministères pour enfants, il y a de moins en moins de gens impliqués dans l'église. Et après le COVID, plein de gens ont arrêté de venir, même s'ils se considèrent toujours Chrétiens.
Pour la communauté internationale, c'est un peu différent. Les églises internationales sont assez nouvelles ici, ça fait vraiment que 20 ans que ça se développe avec l'arrivée de plus en plus d'étrangers. C'est vraiment un champ de mission passionnant ! On estime qu'il y a environ 2,5 millions d'étrangers qui vivent en Corée, peut-être 2 millions de plus sans papiers. Avec le faible taux de natalité, la Corée a besoin de plus d'étrangers pour remplacer les étudiants et les travailleurs. Le gouvernement veut faire venir 300 000 étudiants dans les 5 prochaines années. C'est une super opportunité pour l'église d'atteindre des gens de pays où on ne peut pas partager l'Évangile librement. Ils viennent ici, on peut leur parler de notre foi, les former, et ils peuvent ensuite ramener ça dans leur pays d'origine.
“Hongdae, c’est l'épicentre de la culture jeune en Corée. Toute la mode, la musique, les fringues, tout sort de Hongdae. C'est marrant que Dieu ait appelé un vieux comme moi à s'occuper des jeunes ! (rires)”
Quelle vision Dieu t'a donnée avant que tu ne lances City Light ?
En fait, on n'avait pas vraiment de vision claire au début. Dieu nous disait juste de commencer. Je savais qu'on voulait cibler les étrangers en Corée. Petit à petit, Dieu m'a donné une vision pour le quartier de Hongdae, où on est maintenant. C'est l'épicentre du christianisme en Corée : les premiers missionnaires sont venus ici, les premières églises et universités ont été fondées ici. Il y a 5 grandes universités dans le coin, dont 4 chrétiennes. C'est un endroit très spirituel. En même temps, beaucoup de sectes sont aussi dans le coin à cause de cette atmosphère spirituelle. Les Mormons, les Témoins de Jéhovah, une des plus grandes sectes coréennes, sont tous dans le coin.
Hongdae, c’est l'épicentre de la culture jeune en Corée. Toute la mode, la musique, les fringues, tout sort de Hongdae. C'est marrant que Dieu ait appelé un vieux comme moi à s'occuper des jeunes ! (rires). Notre vision, c'est d'élever une génération d'adorateurs pour impacter le monde pour Christ. C'est le slogan de notre église, et c'est la vision que Dieu m'a donnée pour ma vie aussi.
Et pour les expats qui viennent ici, il y a des défis particuliers pour les atteindre ?
Oh oui ! La vie à Séoul est très chargée, il y a plein de distractions. Les gens se laissent emporter par la K-pop, les K-dramas, etc. C'est pas mauvais en soi, mais ça peut vite devenir une distraction pour la vie spirituelle. Et puis dans une population d'expats, avec des gens de partout dans le monde, tu as forcément des conflits, des malentendus, des barrières culturelles et linguistiques. C'est ça les défis d'une église internationale.
La plupart du temps, les étudiants et les expats ne restent que quelques mois. Comment tu fais pour former des disciples quand tu n'as pas beaucoup de temps avec eux ?
Bonne question ! Le turn over des gens qui viennent et qui partent est énorme. La blague dans notre église, c'est que je pourrais prêcher le même sermon chaque semaine et personne ne s'en rendrait compte tellement il y a toujours de nouvelles têtes ! (rires). Mais cette rotation est aussi une bénédiction. On ne stagne jamais, il y a toujours du changement. En moyenne, les gens restent environ un an. On a mis en place un programme de formation en 4 étapes, et notre but c'est qu'ils fassent au moins les 2 premières étapes en 9 semaines.
La première étape, c'est sur la doctrine de base : ce qu'on croit, pourquoi on lit la Bible. La deuxième étape, c'est sur comment on croit : comment lire la Bible, comment faire un temps de dévotion, comment partager sa foi. Notre but, c'est que chaque personne qui passe par notre église soit capable de former quelqu'un d'autre quand elle part.
Ta vision, c'est d'impacter le monde. Et quand on s'est rencontrés, tu m'as dit quelque chose de profond : une église doit être comme un aéroport. Tu te souviens ?
Oui ! J'ai réalisé que toutes les églises ont un “hall d'arrivée”, mais peu ont un “hall de départ”. Dans un aéroport, il y a les deux. Beaucoup d'églises aiment quand les gens arrivent, mais pas quand ils partent. Ici, on est très intentionnel sur le fait que la plupart de nos membres vont partir un jour. Sur le groupe original avec qui on a commencé il y a 7 ans, il ne reste que 4 ou 5 personnes. Je leur demande tout le temps : “Pourquoi vous êtes encore là ? C'est l'heure de partir !” Mais ils me disent qu'ils n'ont nulle part où aller ! (rires). Notre cœur, c'est que pendant qu'ils sont là, ils soient formés et équipés pour que Dieu les envoie ensuite. On a envoyé plein de gens dans différentes parties du monde, où ils servent Dieu dans des écoles, des gouvernements, des ONG…
Ça doit être un sacré défi de construire de la stabilité avec des gens de tant d'horizons différents, et un tel turnover. Comment tu gères cela ?
On voit ça comme un point positif ! On est très intentionnels sur le temps qu'on a avec eux. On les implique dans des petits groupes, on les forme, on les fait servir dans un ministère. Ça les soude vraiment quand ils servent ensemble. C'est toujours frais, on a toujours un nouveau groupe de gens à former. C'est comme de l'argile fraîche qu'on peut modeler, puis on les envoie et une nouvelle fournée arrive. C'est toujours intéressant de voir les gens se transformer, de voir Dieu les toucher. On s'inquiète toujours quand quelqu'un de doué ou de généreux part, mais Dieu envoie toujours quelqu'un d'autre encore plus doué ou plus généreux. Il nous surprend toujours avec les gens qu'il amène.
Tu dois être super flexible et adaptable, du coup !
Carrément ! On n'a pas vraiment de règles fixes, on s'adapte à ce qui vient. Mais quelque chose d’important pour nous, c'est l'adhésion à l'église. Comme les gens vont et viennent tout le temps, on insiste sur le fait que pendant qu'ils sont ici, ils sont sous la protection et l'autorité de l'église. On demande l'adhésion pour ceux qui veulent servir dans l'église. Ça nous permet aussi de repérer les gens un peu suspects ou ceux qui ne sont pas encore Chrétiens. On a des gens qui viennent et qui disent : “Je suis pas Chrétien, je veux pas croire, mais j'aime bien votre église”. C’est OK, mais on ne les laisse pas devenir membres, parce que pour nous, c'est important d'être croyant d'abord.
Tu as dit au début que de plus en plus de jeunes Coréens quittent l'église traditionnelle où ils ont grandi. Est-ce que tu penses que des églises internationales comme CityLight peuvent être une solution et les aider à garder leur foi et trouver leur propre identité ?
Oui, je pense. Je ne veux pas dire du mal de l'église coréenne, elle a fait un travail incroyable. Mais beaucoup de jeunes sont déçus parce que souvent, l'église coréenne valorise plus la culture coréenne que la culture biblique. Quand les jeunes viennent à l'église coréenne, ils retrouvent trop les codes du monde, il n'y a pas trop de différence. Quand ils viennent dans une communauté internationale, ils vivent quelque chose de très différent. Ils ne sont pas jugés sur leur argent ou leur voiture. Il y a plus de liberté et de flexibilité. C'est pour ça que beaucoup de jeunes Coréens viennent dans notre église : ils trouvent des amitiés et une communion authentiques qu'ils ne peuvent pas avoir ailleurs.
Malheureusement, l'église coréenne ne prêche plus vraiment l'Évangile, ou alors un évangile très proche de l'évangile de la prospérité. C'est dangereux. Beaucoup de Chrétiens en Corée pensent qu’être Chrétien, c'est juste aller à l'église une fois par semaine, donner son offrande, prier pour que Dieu bénisse sa famille et essayer de bien vivre. Il n'y a plus d'Évangile, plus de croix. C'est triste…
On a lu que les jeunes Coréens ressentent une telle pression qu'ils hésitent à se marier et avoir des enfants. Tu penses que l'église locale en Corée a quelque chose à faire à ce sujet ?
L'église en Corée est devenue très matérialiste, très mondaine. L'évangile de la prospérité s'est glissé dedans : si tu es bon, si tu crois en Dieu, si tu paies ta dîme, Dieu va te bénir. Il y a une bénédiction dans tout ça, mais ce n'est pas l'essentiel. Même dans l'église, les gens ressentent cette pression. Il y a très peu d'hommes jeunes engagés et loyaux dans l'église. Mon église est à 75 % féminine. On a prié pour avoir plus d'hommes pieux, parce que c'est dur d'être un homme chrétien pieux dans la société d'aujourd'hui. Beaucoup d'hommes dans l'église sont faibles, sans boulot, sans vision. Même dans l'église, ils ont les mêmes valeurs que le monde. Si tu n'as pas beaucoup d'argent, pas une belle maison, pas une belle voiture, tu es mal vu. On ne valorise pas la piété, la sainteté, la prière. Même pour le mariage, les parents cherchent un homme qui correspond aux standards du monde, pas aux standards de Dieu.
C'est quelque chose que tu essaies de confronter dans tes prédications ?
On essaie. En Corée, cet esprit de matérialisme est très fort, particulièrement dans notre quartier. On fait des marches de prière autour du quartier et on prie contre cet esprit de matérialisme, cette pression du succès et de l'argent. Encore une fois, la réussite est une bonne chose, mais quand ça devient la chose principale, ça détruit vraiment beaucoup de jeunes. Il y a tellement de pression de la famille et de la société autour de ça…
Leo, merci beaucoup pour ton temps et toutes tes réponses pertinentes qui nous éclairent sur ta vision et plus globalement sur la Corée. Un dernier mot pour conclure ?
Oui, je suis très excité par cette nouvelle saison de ce que Dieu fait en Corée. Beaucoup d'églises sont devenues comme des paquebots de luxe : elles sont confortables et belles, mais elles avancent lentement. Je pense que l'église que Dieu va utiliser dans la prochaine saison, ce sont les porte-avions : ils sont prêts à se battre et ils bougent vite. C'est le genre d'église que je veux être : une église capable d'élever des soldats, des gens équipés pour combattre. C'est le cœur que j'ai pour cette nouvelle génération de jeunes que Dieu nous envoie. Mon cœur, c'est de les équiper pour qu'ils puissent aller dans toutes les nations et prêcher l'Évangile jusqu'aux extrémités de la terre !
Cet interview est la retranscription de ce podcast.
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